Analyse de marché (Securibourse)
Par Jean Borgeix, Oddo et Cie
Les marchés dactions sont modérément optimistes en ce début dannée, et les performances des indices sont assez proches les unes des autres autour de 2 à 3%, des marchés asiatiques aux marchés occidentaux. Hésitations avant lenvol ou calme avant la tempête >
Les entreprises américaines ont très bien amorti le choc du ralentissement économique des deuxième et troisième trimestres 2006. Le dernier trimestre 2006 montre déjà une nette reprise de lactivité (PIB +3.5%), et les entreprises nont probablement eu aucune difficulté à maintenir leurs marges au niveau très élevé du trimestre précédent. Pour autant, lannée 2007 semble poser quelques problèmes si lon suit les commentaires qui accompagnent la publication dun certain nombre de résultats du dernier trimestre. Des incertitudes apparaissent, notamment chez les sociétés de technologie. Le risque de récession que les marchés avaient envisagé au printemps 2006 est-t-il totalement écarté>
À cet égard, où en sont les indicateurs de conjoncture les plus sensibles pour le marché des actions >
Un cycle largement avancé, qui révèle des tensions
Le cycle en cours a débuté au dernier trimestre 2001, après la récession des trois premiers trimestres. Comme dans toutes les situations comparables du passé, certaines tensions apparaissent après 5 ans de hausse ininterrompue de lactivité. La FED les surveille de très près, en particulier la situation tendue de lemploi.
La FED a déjà freiné la croissance économique grâce au resserrement de la politique monétaire qui a débuté en juin 2004. Mais déjà une reprise de lactivité semble sengager dans le sillage de limmobilier. Cette reprise de la croissance paraît étonnamment précoce. Dans notre problématique liée à un marché de lemploi qui reste très tendu, la reprise dune activité soutenue nous semble difficile à envisager dès à présent étant donné quelle peut déboucher sur de linflation salariale. La FED a dailleurs confirmé cette analyse à plusieurs reprises au second semestre 2006
Mais le "miracle" des marges des sociétés américaines du troisième trimestre pourrait remettre en question ce blocage par lemploi.
Les marges des grandes entreprises au troisième trimestre ont montré que ces dernières bénéficiaient encore dune productivité exceptionnelle.
Lanalyse de la productivité est toujours ambiguë, car elle nest quun résultat constaté. La productivité ne génère pas toute la croissance dégagée par léconomie directement, mais elle permet daméliorer la rentabilité de cette croissance. Ainsi, la productivité constatée ces dernières années peut permettre de bâtir un scénario de croissance prolongée des cash-flows, en dépit des contraintes du plein emploi.
La productivité des entreprises des années 2000-2005 a permis, en effet, de répondre à une croissance de la demande très supérieure à celle de lemploi. En 2003 et 2004, certains économistes craignaient même de voir émerger une croissance sans emploi.
Ce mécanisme, redouté à lépoque, pourrait aujourdhui montrer des vertus inattendues. Les résultats du troisième trimestre des principales entreprises américaines nous ont montré que, chez elles, la productivité continuait de progresser à des rythmes supérieurs à la tendance longue. Dores et déjà, cette productivité a permis dabsorber les premières tensions sur lemploi. Peut-être faudra-t-il attendre un taux de chômage de moins de 4% pour voir apparaître de réelles tensions sur les salaires >
Pour le moment les salaires nont pas encore "rattrapé la productivité" dans les grandes entreprises comme le prévoyait M. Ben Bernanke il y a un an. Le taux de progression annuel des salaires au dernier trimestre 2006 est de 4.8% contre 4.5% au troisième trimestre. Mais, au troisième trimestre, le taux de progression de la valeur ajoutée des entreprises était bien supérieur, autour de 8%, permettant daller très au-delà du simple maintien des marges. Il est donc peu probable que le "rattrapage" de la productivité par les salaires, dans les grandes entreprises ait eu lieu dès le quatrième trimestre 2006.
La situation favorable au maintien de marges élevées et dune inflation limitée semble pouvoir se prolonger début 2007.
À moins que la conjoncture ne se dégrade directement de manière très nette
Quelques indicateurs avancés vont dans ce sens
Parmi les indicateurs avancés, les enquêtes auprès des entreprises jouent un rôle primordial. Les enquêtes auprès des directeurs dachats montrent une tendance au repli qui saccélère depuis le printemps 2006. Ces enquêtes ont toujours accompagné lévolution de léconomie américaine. Selon les économistes, le résultat de ces enquêtes coïncide avec la tendance plus quelle ne lanticipe.
De ce point de vue, le ralentissement actuel de léconomie américaine est bien coïncidant. Dautant que la croissance du troisième trimestre était proche de 0, hors grandes entreprises, incluant notamment limpact de limmobilier qui touche beaucoup de petites entreprises. Cet indicateur devrait montrer au cours des prochaines enquêtes si léconomie continue dévoluer à 2 vitesses. Il devrait montrer surtout si la part de léconomie en croissance lemporte, ou au contraire, si la faible croissance observée hors des grandes entreprises freine lensemble. La réponse est peut-être dans lassociation du comportement des marchés et de celui des indicateurs ISM. Dans le passé, les baisses dindices ont toujours accompagné les fortes dégradations des indicateurs ISM (cf. graphique). Ce nest pas le cas aujourdhui, les indices nétant concernés que par le comportement des grandes entreprises. Pour le moment, les comportements divergents des indices et des ISM confirment la poursuite dune croissance à 2 vitesses.
Dans les semaines à venir, soit les ISM se redressent et sans doute pourra-t-on envisager une nouvelle phase de croissance, fût-elle moins vigoureuse, dans le cycle en cours. Soit les indices entament un mouvement de baisse et suivent les ISM, et il faudra envisager un retournement plus profond du cycle avec un impact très sensible sur les marchés (baisse de 20 à 30%). À cet égard, la chute du PMI de Chicago de janvier nappuie pas lidée dun rebond de lISM manufacturier.
Autres indicateurs : ils sont très partagés
Parmi les nombreux indicateurs utilisés dans lanalyse de la conjoncture, les tendances ne savèrent pas très claires. Par exemple, on peut noter que les ventes de camions sont au plus haut, alors quelles sont le signe dune activité soutenue des transports et donc de lactivité en général. Autre exemple, celui des stocks rapportés aux chiffres daffaires nest pas très positif. Ils montrent un alourdissement des stocks, qui, a priori, devra être résorbé, encore que cet indicateur est sur une tendance longue baissière, associée au développement des flux tendus, et quil a certainement perdu de son importance dans son influence sur la conjoncture. Plus inquiétant est le ralentissement de la croissance des investissements en technologie qui ont représenté quelque 2/3 des investissements au cours des dernières années. En tout
état de cause, aucune tendance ne se dessine clairement des indicateurs traditionnels. Ce sont plutôt des ajustements auxquels on assistera, qui joueront en partie sur la tendance générale.
La courbe des taux comme indicateur de tendance
Les taux directeurs ne baissant pas, la courbe des taux reste inversée, même si le retour vers une tendance plate sest nettement dessiné ces dernières semaines.
Historiquement, cette inversion a toujours anticipé une récession avec environ un an davance. Il sagit dun phénomène simple selon lequel le marché obligataire qui accepte des taux à 5 ou 10 ans inférieurs aux taux directeurs, estime que le niveau des taux directeurs et des taux courts observés sur le marché est provisoire, le ralentissement économique et la désinflation étant proches. Compte tenu de la position actuelle de la courbe des taux, deux hypothèses peuvent être envisagées.
Soit la courbe des taux se normalise sous leffet de la baisse des taux directeurs, ce qui signifierait que la FED anticipe un ralentissement à venir de léconomie. Celui-ci ne serait pas forcément favorable aux marchés dactions comme le pense une majorité dopérateurs.
Soit la courbe des taux se normalise par la remontée des taux longs, signifiant que plus aucun risque de ralentissement nest en vue. La reprise économique se prolonge alors dans léquilibre en raison de la forte productivité du système. Ce schéma est bien entendu très favorable aux marchés.
Mais une alternative dinterprétation reste possible :
les taux longs remontent en raison des risques dinflation qui réapparaissent sous la pression des salaires. Dans ce cas, la FED, qui a exprimé sa crainte à plusieurs reprises à ce sujet, entamerait une nouvelle phase de progression des taux directeurs et la courbe des taux pourrait demeurer inversée. Cest la récession garantie et une forte baisse annoncée des marchés.
Pour le moment, le rééquilibrage de la courbe des taux sous leffet de la remontée des taux longs, est plutôt le signe que le cycle en cours reprend sa tendance haussière interrompue en milieu dannée 2006, provisoirement débarrassé des contraintes de linflation salariale.
Limmobilier aux États-Unis
Il ne sagit pas là dindicateurs, mais de la situation dune partie de léconomie américaine. Limmobilier pèse assez lourd dans le système de croissance américain comme dans la plupart des autres économies dailleurs, pour sen préoccuper. Les mises en chantier viennent de seffondrer, leur niveau revenant à celui de lannée 2001. Limpact sur la croissance a déjà été sévère.
Nous avons vu, en effet, que la croissance hors grandes entreprises aux États-Unis a été proche de 0 au troisième trimestre, pour une grande partie en raison de la situation des petites entreprises de la construction. Pour autant, leffet richesse na pas été mis en cause et la consommation des ménages na pas souffert de la baisse de limmobilier dont limpact sur le prix des maisons est encore limité. Mais le phénomène est habituel. Les prix mettent du temps à réagir à lexcès de stocks. Cest la durée de lexcédent des stocks qui importe. Dès lors, les marchés pourraient sinquiéter de la poursuite de la crise de limmobilier dans la mesure où elle finirait par toucher les prix des maisons. Cest le point essentiel.
Les prix des maisons sont restés stables depuis 3 ans, mais les stocks de ventes en attente ont sensiblement augmenté. Ces stocks sont une menace pour les prix des maisons et pour le recours des ménages à lemprunt hypothécaire sur la valeur de limmobilier.
Mais, selon les dernières statistiques du mois de décembre, le montant des stocks par rapport aux ventes a baissé de 7 à 6.5 mois. Sagit-il dune embellie ou dun début de retournement > À cet égard, les prochaines statistiques seront très éclairantes. En attendant lévolution de limmobilier, limpact sur leffet richesse reste limité. La hausse des indices boursiers, qui ont effacé leurs pertes du deuxième trimestre et au-delà, a largement compensé le faible effet de la chute de limmobilier sur les prix des maisons. La chute des permis de construire et des mises en chantiers a peut-être même entraîné des effets de substitution dans la consommation des ménages, au profit dautres dépenses comme lÉlectroménager, la Hi Fi, ou même lAutomobile.
En tout cas, la baisse de lactivité dans limmobilier est déjà largement dans les cours.
En revanche, de véritables baisses des prix des maisons pèseraient très probablement sur le marché des actions. Les ménages pourraient alors être amenés à reconstituer une partie de leur épargne, au plus bas historique depuis plus de 50 ans, au détriment de la consommation et de la croissance.
Le comportement du Nasdaq
Le Nasdaq 100 a décroché par rapport au S&P depuis février 2006. Il a connu une velléité de reprise au cours du second semestre 2006 et au tout début 2007. Mais, cette tendance était largement due à un comportement spéculatif de rattrapage en raison de la déception sur les secteurs des technologies en 2006.
Les résultats irréguliers publiés en début dannée 2007 ont rapidement renvoyé les spéculateurs à leurs études.
Des problèmes liés à la croissance sont clairement apparus au dernier trimestre 2006 dans les secteurs de la technologie. En 2000, les secteurs de la technologie avaient aussi rencontré les premières difficultés liées à la fin du cycle précédent. Les cours sétaient effondrés dans un marché survalorisé. En 2006, la baisse relative des technologies par rapport à lensemble du marché na rien dun effondrement.
Toutefois, le même type de signal a été donné. Comme nous lavons rappelé dans le flash précédent, linvestissement dans le secteur de la technologie a ralenti par rapport à la progression des cash-flows en 2006. Dans les économies développées, il y a là un autre signe clair de ralentissement. Sera-t-il accompagné par la suite par le ralentissement des
secteurs classiques, comme ce fut le cas en 2000-2001 > La réponse la plus probable est quil y ait effectivement un impact sur léconomie classique, fut-il retardé.
Le comportement des sociétés de technologie reste donc, au-delà de la spéculation, un indicateur de la tendance générale, encore en 2007.
Le rebond ou la rechute des résultats de ce secteur constituera sans doute des indications majeures lors des prochains trimestres.
En conclusion, les marchés semblent hésiter entre des indicateurs contradictoires, pris entre deux hypothèses.
Soit lactivité redémarre durablement comme le laisse supposer le comportement des emprunts à 10 ans. Mais dans ce cas, les rêves de baisse des taux envisagés au début du second semestre 2006 sévanouissent et, paradoxalement, cette situation ne semble pas enthousiasmer les marchés. Soit lactivité ne se redresse pas et les résultats des sociétés seraient amenés à être révisés en baisse.
Cest ce que tend à montrer le consensus de Thomson Financial dont les estimations de croissance des résultats 2007 ont été revues en baisse à la suite des publications de résultats du quatrième trimestre 2006, de plus de 9% à moins de 8%. La performance des sociétés au troisième trimestre 2006, qui tenait du miracle, ne sest pas totalement retrouvée au dernier trimestre, et pourrait ne pas se confirmer en 2007.
Mais, il est aussi clair que les marchés dactions sont très solides. Structurellement, les grandes sociétés se sont réorganisées, dabord en se désendettant, puis en arbitrant leurs actifs pour en obtenir la meilleure rentabilité. La productivité qui en est résultée permet dassurer une solide croissance des résultats, et surtout peut permettre denvisager de reprendre un rythme de croissance plus soutenu avec des effectifs en faible augmentation.
La hausse des indices dans le cadre du cycle en cours nest donc, probablement pas terminée.
Rappelons, toutefois, que nous sommes déjà très avancés dans ce cycle et que la FED semble désormais plus réticente à baisser ses taux dans un environnement économique où la croissance se reprend et où aucune véritable détente nest encore intervenue, en particulier sur lemploi.
Si une "extension" est rendue possible par les progrès de productivité et le rôle dentraînement des grandes sociétés, il ne sagit quand même que dune extension du cycle haussier qui reste soumis aux tensions sur lemploi.
Les marchés pourraient semballer sur cette extension. La spéculation sur les opérations de fusions acquisitions qui se multiplient avec lappui de "hedge funds" (120 milliards de livres ont été levés au Royaume-Uni en 2006 sur ce seul type dopérations), peut fournir les sources dexcès que lon trouve toujours dans ces cas de figures où plus aucun opérateur ne doute de lavenir.
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